Ses yeux balayent l’espace, elle le connaît par cœur mais ce soir, elle le regarde un peu différemment. Tout est à sa place pourtant, comme c’était hier, comme ce sera demain. Musique, trop forte. Lumières, trop fortes. Spiritueux, trop forts. Elle ne sait plus vivre autrement, Harli. Toujours trop, quand la nuit tombe, et que Coruscant se transforme. La politique qui bourdonne tout le jour se voit remplacée par les pas de danse effrénés, les éclats de rires et les éclats de colère, ceux qui règlent leurs comptes et ceux qui concluent l’affaire. D’habitude, Harli est enchantée de se joindre à la masse. D’habitude, elle glisse d’un sourire à l’autre, fait la discussion, recueille les informations, offre des verres, en vide quelques-uns ; trop. Même quand elle travaille, la sauvage, elle fuit l’ennui, tout le temps. D’habitude, elle se tiendrait au milieu de la foule, enivrée par l’attention, les mots qui comblent sa curiosité, les regards qui lèchent ses courbes, d’habitude, elle en jouerait. D’habitude.

Ce soir, elle observe de loin. La gamine est passée ce matin. Encore. Harli a pourtant veillé à s’entourer d’une nouvelle milice – incapables – suite aux passages intempestifs de la démone, qui ne semble plus vouloir la laisser tranquille. Elle s’en trouvera une autre, demain, quand le jour aura dissipé son obsession, celle qui l’enveloppe plus encore ce soir que n’importe quel autre soir. La gamine est passée ce matin comme un esprit étranger, venu pénétrer son âme, et ça lui a laissé un goût amer dans la bouche, une boule au ventre ; c’est l’impuissance qui la fait tressaillir, face à une nymphe qui la surpasse. Elle, qui foule les sols de sa planète comme si elle en était la Suprême, d’habitude. Elle, mise à l’amende par un fantôme, contre lequel elle ne peut rien. Ce soir, elle observe la cantina de loin comme si elle ne la reconnaissait plus ; d’une part, parce que l’excitation de chaque soir est détrônée par une inquiétude désagréable, et que plus rien ne semble être à sa place ; mais surtout : parce qu’elle cherche quelqu’un.

Plus tôt dans la soirée, on est venu lui donner le nom de quelqu'un ; quelqu'un qui, semble-t-il, savait utiliser la force ; on lui a dit qu'on le savait, parce qu'on l’avait vu faire. Elle s'est d'ailleurs étonnée d’une telle déclaration, assez surprise que quiconque se risque à ce genre d’imprudence. Et si c’était vrai, qui était-il ? Et pourquoi rôdait-il si près du danger ? On lui a dit qu’il avait l’air d’en avoir une grande maîtrise, et qu’il ne semblait pas affolé ; au contraire. On lui a fait une description physique – sur laquelle elle a eu une impression de déjà-vu : ce n’était pas la première fois qu’elle en entendait parler – et puis, on lui a dit qu’il se trouverait ici, dans son établissement – comme servi sur un plateau d’argent ?

Un visage se détache de la foule, obligeant toutes ses autres idées vagabondes à la quitter sur le champ. Elle ne saurait dire pourquoi elle en est si sûre, mais elle sait que c’est lui. Et alors, quoi ? Celui-ci ne sera pas facile à convaincre, encore moins à garder. Il a une assurance déconcertante : il sait ce qu’il fait ici. Harli, de son côté, en doute encore. Maintenant qu’elle a verrouillé sa cible, elle n’est plus certaine de savoir quoi en faire. Il a ce regard, presque aussi troublant que celui de celle qui la tourmente, ce nuage de mystère qui l’entoure, on dirait presque qu’il n’est pas vraiment là. Et la curiosité la dévore, Harli : elle veut connaître ses secrets. Sans le lâcher des yeux, elle se déplace vers lui, mais n’approche pas ; pas encore. Elle essaye de capter son attention, elle ne veut pas qu’il s’échappe, alors elle entame la danse. Il faudra lui tourner autour, un pas après l’autre, lentement, assurément, lui montrer qu’elle n’est pas une menace – savoir si lui en est une. Et, alors qu’elle a enfin l’impression que leurs pupilles se scellent l’une à l’autre, elle étire un sourire d’un seul côté de ses lèvres, et se penche à l’oreille de son employé le plus proche en pointant l'homme d'un coup de menton. « Sers-lui un autre verre de ce qu’il veut. » Et qu’il n’hésite pas à venir me rejoindre pour boire le suivant. Est-ce qu’elle pique sa curiosité, elle aussi ?